Congrès 2011 - PETITS CANCERS DU RECTUM

Orateurs : Pr JL Faucheron (Grenoble)

Cette situation résume trois cas de figure : le chirurgien ou le gastroentérologue pensait traiter un polype non suspect plus ou moins volumineux et l’anatomo-pathologiste permet de découvrir un cancer sur la pièce opératoire ; le cancer était connu chez un patient ayant eu un bilan exhaustif et il ne nécessitait pas de traitement néo-adjuvant ; le cancer était connu chez un patient ayant eu un bilan exhaustif et il nécessitait un traitement néo-adjuvant dont la réponse a été jugée excellente. Cette dernière situation est traitée ailleurs (Pr Christophe Laurent – Essai GRECCAR 2).

L’exérèse a pu être faite par mucosectomie, que ce soit par le gastroentérologue (endoscopiquement) ou par le chirurgien (voie transanale classique selon la technique du lambeau ou du parachute, ou selon la technique de Transanal Endoscopic Microsurgery = TEM), lorsque le diagnostic préopératoire était celui d’une tumeur bénigne, par exemple une tumeur villeuse.

L’exérèse transanale, cette fois-ci uniquement chirurgicale, a pu emporter toute l’épaisseur de la paroi rectale, par abord « classique » ou par TEM. La deuxième technique assure un meilleur contrôle de l’exérèse en marge saine de la lésion bénigne ou maligne, et une meilleure survie à long terme par rapport à l’exérèse transanale classique [1-3]. L’équipe de Minneapolis signalant toutefois le biais de ce type de comparaison puisque les patients soumis à la TEM sont souvent très sélectionnés et opérés dans des équipes rompues à ce type de voie d’abord [4].

Le bilan pré-opératoire a pu ne pas comporter d’échographie endorectale ou d’IRM rectale, de TDM thoraco-abdomino-pelvienne, voire de coloscopie totale : ce bilan sera bien sûr effectué dés l’instant que la pièce opératoire conclut en la présence d’un adénocarcinome infiltrant, c’est-à-dire franchissant la musculaire muqueuse. Les dosages des marqueurs ACE et CA 19.9 ne sont pas systématiques.

La décision de la conduite à tenir après l’exérèse d’un petit cancer du rectum dépend de plusieurs paramètres, très nombreux :

  • En cas de cancer superficiel ôté par mucosectomie endoscopique ou chirurgicale, l’exérèse est-elle complète latéralement et surtout en profondeur (notion d’atteinte sous muqueuse sm1, sm2 et sm3, le dernier ayant un nettement moins bon pronostic, notamment ganglionnaire que les deux autres) ?
  • S’il s’agit d’une exérèse totopariétale, l’exérèse a-t-elle une marge latérale et profonde adéquate ?
  • En cas de tumeur T1 ou T2, le bilan préopératoire comportant TR, échographie endorectale et IRM rectale excluait-il la présence d’une adénopathie suspecte ? Auquel cas l’indication était mauvaise (voir présentation du Pr Yves Panis)…
  • Le patient pourra-t-il supporter une chirurgie par voie abdominale si le résultat histologique après exérèse par voie transanale l’exigeait ?
  • Pour un risque de récidive par exemple de 8%, un patient jeune accepterait-il une résection avec anastomose colo-anale, voire une amputation abdominopérinéale avec les séquelles digestives presque obligatoires, sexuelles plus rares et urinaires exceptionnelles que ces deux gestes comportent ?

Le risque ganglionnaire et le risque de récidive locale en cas de tumeur infiltrante est non nul [5]. Une équipe Italienne emmenée par Nascimbeni a démontré, à partir d’une comparaison entre 70 patients opérés par voie transanale « classique » pour un cancer des deux tiers inférieurs du rectum de stade T1 et 74 patients opérés par exérèse radicale pour une lésion équivalente (tumeurs pédiculées et irradiées exclues), que les taux de survie globale et de survie sans récidive à 5 et 10 ans étaient meilleurs dans le groupe de résection radicale [6]. Plus récemment, Hazard et collaborateurs ont montré des résultats équivalents, à partir d’une étude rétrospective portant sur 4320 patients consécutifs opérés pour cancer du rectum de stade T1-2N0M0 : 13% avaient été opérés par exérèse locale transanale « classique » seule, 70% par résection antérieure, les 17% restants ayant reçu un traitement adjuvant ou néo-adjuvant ; là encore, la survie sans récidive était meilleure dans le groupe de résection rectale [7].

Dans ces deux études, la technique d’exérèse par voie transanale n’était pas une TEM. Lee et collègues ont montré, par contre, à partir d’une comparaison rétrospective entre 70 patients traités par cette technique pour un cancer T1 ou T2 du rectum et 100 patients appariés opérés par résection antérieure pour des lésions T1-2N0M0 (aucune radiochimiothérapie dans les deux groupes), qu’il n’y avait pas de différence significative pour les T1 en ce qui concernait la récidive quelle qu’elle soit et la survie à 5 ans ; pour les T2, il n’y avait pas de différence significative pour la survie, mais il en existait une s’agissant de la récidive locale, en défaveur du groupe TEM [8].

Lorsqu’il existe une récidive locale après exérèse par voie transanale d’un petit cancer du rectum, de stade 1, la chirurgie d’exérèse radicale de cette récidive donne de nettement moins bons résultats que la chirurgie radicale, si elle avait été réalisée d’emblée à stade équivalent [9].

Par contre, lorsque la chirurgie par voie transanale semble insuffisante quelle qu’en soit la raison (marge envahie, tumeur T2-3, envahissement lymphatique, ou vasculaire…), la chirurgie radicale de « rattrapage » pourrait donner les mêmes résultats oncologiques que la chirurgie radicale si elle avait été pratiquée d’emblée [10] .

La place exacte de la radiochimiothérapie « dans le doute » après exérèse locale d’un petit cancer du rectum n’est pas définie. Elle ne semble pouvoir être proposée que chez des patients pouvant la supporter, lorsque la chirurgie radicale de rattrapage est contre indiquée.

Finalement, nous pourrions conclure comme Chang et l’équipe de Sao Paulo, que la chirurgie radicale est le meilleur traitement des petits cancers du rectum (« early cancer » des anglosaxons), mais que l’exérèse par voie transanale garde une indication chez des patients qui auront une moindre morbidité opératoire, acceptent un risque plus élevé de récidive, une surveillance plus étroite et plus prolongée après le geste, et une moindre chance de guérison si une récidive apparait [11].

Encore faut-il que les impératifs d’exérèse par voie transanale, au mieux par TEM, répondent parfaitement aux critères stricts d’indication et de technique publiés (voir présentation du Pr Yves Panis)

Références
1. Bretagnol F, Merrie A, George B, Warren BF, Mortensen NJ. Local excision of rectal tumours by transanal endoscopic microsurgery. Br J Surg 2007;94:627–33.
2. Jeong WK, Park JW, Choi HS, Chang HJ, Jeong SY. Transanal endoscopic microsurgery for rectal tumors: experience at Korea’s National Cancer Center. Surg Endosc 2009;23:2575-9.
3. Sgourakis G, Lanitis S, Gockel I, Kontovounisios C, Karaliotas C, Tsiftsi K, Tsiamis A, Karaliotas CC. Transanal endoscopic microsurgery for t1 and t2 rectal cancers: a meta-analysis and meta-regression analysis of outcomes. Am Surg 2011;77:761-72.
4. Christoforidis D, Cho HM, Dixon MR, Mellgren AF, Madoff RD, Finne CO. Transanal endoscopic microsurgery versus conventional transanal excision for patients with early rectal cancer. Ann Surg 2009;249:776-82.
5. Mellgren A, Sirivongs P, Rothenberger DA, Madoff RD, García-Aguilar J. Is local excision adequate therapy for early rectal cancer? Dis Colon Rectum 2000;43:1064-71; discussion 1071-4.
6. Nascimbeni R, Nivatvongs S, Larson DR, Burgart LJ. Long-term survival after local excision for T1 carcinoma of the rectum. Dis Colon Rectum 2004;47:1773-9.
7. Hazard LJ, Shrieve DC, Sklow B, Pappas L, Boucher KM. Local Excision vs. Radical Resection in T1-2 Rectal Carcinoma: Results of a Study From the Surveillance, Epidemiology, and End Results (SEER) Registry Data. Gastrointest Cancer Res 2009;3:105-14.
8. Lee W, Lee D, Choi S, Chun H. Transanal endoscopic microsurgery and radical surgery for T1 and T2 rectal cancer. Surg Endosc 2003;17:1283-7.
9. Friel CM, Cromwell JW, Marra C, Madoff RD, Rothenberger DA, Garcia-Aguílar J. Salvage radical surgery after failed local excision for early rectal cancer. Dis Colon Rectum 2002;45:875-9.
10. Hahnloser D, Wolff BG, Larson DW, Ping J, Nivatvongs S. Immediate radical resection after local excision of rectal cancer: an oncologic compromise? Dis Colon Rectum 2005;48:429-37.
11. Chang AJ, Nahas CS, Araujo SE, Nahas SC, Marques CF, Kiss DR, Cecconello I. Early rectal cancer: local excision or radical surgery? J Surg Educ 2008;65:67-72.