Congrès 2009 - Session sur les malformations ano-rectales

Orateurs : Dr Célia Crétolle (Paris)

Introduction

Les malformations de l’anus et du rectum (MAR) sont parmi les plus fréquentes des anomalies congénitales chirurgicales de l’intestin. Leur incidence varie selon les séries entre 1 sur 3 500 à 5 000 naissances vivantes, avec un sex-ratio déséquilibré en faveur des filles (M:F: 1,6:1). Leur présentation anatomique dépend du stade de développement embryonnaire auquel est survenue l’anomalie de mise en place de l’intestin terminal. Toutes les formes existent, depuis la fistule in situ (pouvant en imposer pour un véritable anus) jusqu’à l’absence totale d’anus, avec ou sans fistule urinaire ou génitale. Les formes mineures sont plus fréquentes chez les filles.

Classifications des Malformations ano-rectales

Les classifications des MAR sont nombreuses, et ont évolué avec la compréhension de leur anatomie, parallèlement aux progrès de l’imagerie. La plus utilisée, pour sa simplicité et sa valeur pronostique, reste celle qui décrit les MAR en fonction du niveau du cul-de-sac rectal par rapport à la sangle puborectale des muscles releveurs de l’anus. Elle distingue ainsi les formes hautes (le rectum n’atteint pas le plancher pelvien), de mauvais pronostic, les formes basses (le rectum descend jusqu’au périnée) de meilleur pronostic, et les formes intermédiaires. Conforté par la parfaite analyse des muscles périnéaux apportée par sa technique médiane postérieure, Alberto Penã a remis en cause la notion d’une sangle puborectale distincte et séparée du sphincter externe, en proposant la notion de complexe musculaire strié, continu et composé de la sangle puborectale, des fibres verticales et du sphincter externe. Ces muscles seraient peu développés dans les MAR hautes et bien développés dans les MAR basses. La dernière classification, récemment introduite par A. Penã, et dont s’est inspirée la conférence de Krickenbeck en 2005, est basée uniquement sur la description anatomique de la fistule, en partant du principe qu’il s’agit de l’élément clé qui conditionne la stratégie chirurgicale. Une fistule urinaire ou génitale impose de réaliser une dérivation digestive à la naissance, puis un abaissement colo-anal à distance, alors qu’une fistule périnéale peut être traitée par une simple proctoplastie ou par une anoplastie par voie sagittale postérieure, le plus souvent sans urgence.

Diagnostic et principes de la prise en charge

Le diagnostic de MAR est exceptionnellement fait avant la naissance malgré les performances des techniques d’imagerie prénatale. Dans ces rares cas, le diagnostic de MAR est évoqué sur des signes indirects, en présence de malformations sacrées et/ou médullaires, de malformations associées évoquant une forme syndromique ou d’une entérolithiase signant la présence d’une fistule urodigestive. Outre les examens réalisés à titre systématique dans ce contexte (caryotype, enzymes digestives.), un conseil génétique est proposé en cas d’antécédents familiaux et/ou de suspicion d’une forme syndromique. Les techniques chirurgicales proposées pour le traitement des MAR sont nombreuses, mais la majorité des patients est maintenant traitée selon la stratégie et la technique décrites par A. Pena (postero-sagittal anorectoplasty ou PSARP). Le principe de cette technique est de permettre d’identifier directement toutes les structures, depuis la sangle des releveurs aux fibres les plus superficielles du sphincter externe, et de les respecter, si l’on reste strictement médian dans la dissection. Elle a véritablement transformé le pronostic des MAR. Plus récemment, le développement de la coelioscopie chez le nourrisson a permis de faire revivre les techniques d’abaissement du cul-de-sac rectal par voie combinée abdomino-périnéale. Cette technique (laparoscopic anorectal pull-trough) introduite en 2000 par Georgeson, est aujourd’hui pratiquée en routine par de nombreuses équipes. Les résultats à long terme devront être comparés à ceux obtenus depuis plus de 20 ans avec la technique de Penã.

Résultats

Les deux principaux facteurs pronostiques de ces enfants sont :
1) la qualité du développement du complexe sphinctérien, inversement corrélée au niveau du cul-de-sac rectal par rapport à la sangle des releveurs. Plus il est haut, plus le complexe sphinctérien est malformé et le risque d’incontinence anale élevé. L’existence d’anomalies sacrées et/ou médullaires est un facteur de mauvais pronostic. Schématiquement, les patients traités pour une MAR basse ont une sensation de réplétion rectale, une cinétique d’évacuation des selles et une continence proches de la normale, mais ils ont une tendance marquée à la rétention, qui peut être invalidante si elle n’est pas correctement prévenue et traitée. Les patients traités pour une MAR haute peuvent acquérir une propreté contrôlée avec une diététique et une rééducation adaptées, voire une certaine continence dans les formes favorables. On estime à environ 25 % le taux d’incontinence anale observé dans les MAR, toutes formes confondues.
2) la gravité des malformations associées, qui sont présentes dans plus de 60 % des cas et pour certaines rattachées à des syndromes connus (VACTER, syndrome de Currarino, syndrome Cat eye.). Leur fréquence implique de réaliser, pour toutes les MAR, dès la naissance et avant toute chirurgie, une exploration précise des structures caudales, cardio-thoraciques et rachidiennes, car l’existence de ces malformations associées peut modifi er la prise en charge et la stratégie thérapeutique. Le rôle du chirurgien pédiatre est central dans la prise en charge de ces patients, dès la naissance, pour définir la stratégie chirurgicale adaptée, mais aussi tout au long de la croissance en jouant un rôle de coordonnateur, auprès des différents spécialistes impliqués dans l’amélioration des résultats fonctionnels et le suivi des malformations associées. Un suivi urologique est systématique dans les formes avec fistule urinaire.

Conclusion

Les MAR sont des malformations congénitales qui peuvent être isolées ou s’intégrer dans un contexte polymalformatif dans plus de la moitié des cas. Leur prise en charge nécessite de prendre en compte, non seulement les aspects chirurgicaux, mais aussi l’ensemble des malformations qui peuvent leur être associées, ainsi que les soins de support qui peuvent contribuer à améliorer leur pronostic fonctionnel et la qualité de vie des malades (stomathérapie, diététique, kinésithérapie, soutien psychologique). Les difficultés rencontrées lors du passage à l’âge adulte ont longtemps été sous-estimées, notamment par les chirurgiens pédiatres, qui ont souvent perdu de vue ces patients après l’adolescence. Le rapprochement récent de chirurgiens pédiatres et d’adultes autour des MAR va assurément donner une dimension nouvelle à l’amélioration de la prise en charge de ces patients.

Références

1. Mc Gill CW, Polk HC, Canty TG. Th e clinical basis for a simplifi ed classification of anorectal agenesis. Surg Gynecol Obst 1978; 146: 177-81
2. Pena A. Anorectal malformation. Seminars in Pediatric Surgery 1995; 4: 35-47
3. Georgeson KE, Inge TH, Albanese CT. Laparoscopically assisted anorectal pulltrough for high imperforate anus – a new technique. J pediatr Surg 2000; 35: 927-30
4. Holschneider A, Huston J, Pena A et al. Preliminary report on the International Conference for development of standards for the treatment of anorectal malformations. J Pediatr Surg 2005; 40: 1521-6
5. Hartman EE, Oort FJ, Sprangers MA et al. Factors affecting quality of life of children and adolescents with anorectal malformations or Hirschsprung disease. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2008; 47: 463-71