Bien souvent le malade consultant en proctologie, après avoir écouté les conseils de son médecin et les explications concernant le traitement à entreprendre, pose invariablement la question suivante :  » Docteur, quel régime dois-je suivre? Que faut-il ne pas manger ?  »
Bien qu’en la matière les idées reçues abondent, la littérature scientifique concernant ce point particulier fait le plus souvent défaut et il convient de se méfier des soi-disant régimes miraculeux vantés ça ou là et censés faire  » disparaître les hémorroïdes « …

Régime et maladie hémorroïdaire

Le rôle de facteurs alimentaires (épices, alcool, café…), comme élément déclenchant la crise hémorroïdaire est admis par les patients. Cependant il existe peu d’études sérieuses portant sur ce sujet et leurs résultats sont discordants.
Dans deux travaux anciens (1, 2), les facteurs alimentaires classiquement incriminés (café, épices, alcool, alimentation pauvre en fibres) n’étaient pas d’un point de vue statistique associés à la survenue de troubles hémorroïdaires. Cependant deux autres travaux (3, 4) retrouvent un rôle néfaste des épices et de l’alcool, et le travail de Sielezneff et al. concluait également à une influence délétère de la consommation de tabac. S’il paraît licite de conseiller aux malades ayant constaté le rôle néfaste de certains aliments de les éviter autant que possible, il est probablement inutile d’imposer un évitement systématique des épices ou du vin blanc à ceux n’ayant jamais constaté de lien de causalité entre leurs agapes et leur anus…
Les troubles du transit ont été mis en causes dans la maladie hémorroïdaire. Le rôle de la constipation chronique est cependant discuté puisque suspecté dans les années 70 (5) et ensuite remis en cause par deux autres travaux épidémiologiques montrant une discordance des courbes de prévalence des deux affections. Dans une enquête récente, la survenue d’un épisode de constipation aiguë était associé à un risque de crise hémorroïdaire multiplié par 4 (4) et un autre travail montrait que si la fréquence des selles était identique chez les malades ayant des problèmes d’hémorroïdes et les sujets non hémorroïdaires, la sensation de devoir pousser excessivement ou d’exonérer de façon incomplète était plus fréquente chez les premiers (6). Ces éléments permettent de plutôt conseiller une alimentation riche en fibres (fruits, légumes verts, son…) lorsque l’on souffre de maladie hémorroïdaire.

Alimentation et fissure anale

Les mécanismes de survenue d’une fissure anale sont discutés mais il est fréquemment retrouvé un épisode de constipation aiguë initiale dans l’histoire de la maladie. De plus, en cas de fissure anale, l’existence de selles dures, difficiles à émettre ne fait qu’augmenter les douleurs à la défécation et celles-ci peuvent en elles mêmes, entraîner une constipation réflexe par crainte de souffrir. Le traitement médical initial prescrit en cas de fissure anale, associe pommades, suppositoires mais aussi laxatifs afin de lutter contre la constipation. Il paraît donc souhaitable de faciliter le transit intestinal en adoptant une alimentation riche en fibres, ceci afin d’aider au processus de cicatrisation et de prévenir les éventuelles récidives.

Alimentation et prurit anal.

Bien souvent, les démangeaisons à l’anus (prurit anal) sont dites idiopathiques, c’est à dire qu’aucune cause particulière n’est mise en évidence à l’examen proctologique pour les expliquer. Les travaux scientifiques ayant tenté d’expliquer ce problème si fréquent mettent souvent en évidence une mauvaise vidange de l’ampoule rectale (7) et des relâchements transitoires du sphincter anal interne plus longs et plus amples que les relaxations normales observées chez les sujets sains (8). Cette dernière anomalie est accrue après consommation de café. Les classiques conseils d’adopter une alimentation riche en fibres et de limiter sa consommation de café en cas de prurit anal chronique ont donc un début d’explication scientifique…
Le piment a quant à lui un rôle bénéfique en cas de démangeaisons à l’anus… mais son effet est montré uniquement lorsqu’il est appliqué en pommade (9) !

Alimentation et incontinence anale

Les troubles du transit intestinal peuvent aggraver ou démasquer une incontinence fécale. Ainsi en cas de diarrhée, les accidents d’incontinence peuvent être plus fréquents et à l’inverse, l’accumulation de matières dans le rectum peut s’accompagner de phénomènes de suintement. Dans le premier cas il peut être conseillé au malade d’éviter une trop grande consommation de fibres et a contrario, un rectum vide ne fuyant pas, la seconde situation peut conduire à encourager une alimentation riche en fibres.

En conclusion

Le rôle de l’alimentation dans la genèse des maladies anales en général et de la maladie hémorroïdaire en particulier, est probablement plus limité que ne le laissent croire les croyances populaires. Néanmoins il est presque toujours utile d’avoir une alimentation équilibrée comportant un apport de fibres suffisant et on ne peut qu’acquiescer lorsque les campagnes de publicité récentes conseillent d’augmenter sa consommation de fruits et légumes…

Dr Agnès Senéjoux

Avril 2005

 


Pour en savoir plus :

• Brondel H, Gondran M.Facteurs prédisposants liés à l’hérédité et à la profession dans la maladie hémorroïdaire. Arch Fr Mal App Dig 1976;65(7):541-50.

• Denis J. Etude numérique de quelques facteurs éthiopathogéniques des troubles hémorroïdaires de l’adulte. Arch Fr Mal App Dig 1976;65:529-36.

• Sielezneff I, Antoine K, Lecuyer J, Saisse J, Thirion X, Sarles JC, et al.Y a-t-il une corrélation entre les habitudes alimentaires et la maladie hémorroïdaire?. Presse Med 1998;27(11):513-7.

• Résultats d’une enquête sur la recherche d’évènements déclenchant ou influençant la crise hémorroïdaire. (enquête PREDIC). François Pigot, Laurent Siproudhis, François-André Allaert. Gastroenterol Clin Biol 2005 (sous presse).

• Burkitt DP. Varicose veins, deep vein thrombosis, and haemorrhoids: epidemiology and suggested aetiology. Br Med J 1972;2(813):556-61.

• Johannsson HO, Graf W, Pahlman L. Bowel habits in hemorrhoid patients and normal subjects. Am J Gastroenterol 2005;100(2):401-6.

• Smith LE, Henrichs D, McCullah RD. Prospective studies on the etiology and treatment of pruritus ani. Dis Colon Rectum 1982;25(4):358-63.

• Farouk R, Duthie GS, Pryde A, Bartolo DC. Abnormal transient internal sphincter relaxation in idiopathic pruritus ani: physiological evidence from ambulatory monitoring. Br J Surg 1994;81(4):603-6.

• Lysy J, Sistiery-Ittah M, Israelit Y, Shmueli A, Strauss-Liviatan N, Mindrul V, et al. Topical capsaicin–a novel and effective treatment for idiopathic intractable pruritus ani: a randomised, placebo controlled, crossover study. Gut 2003;52(9):1323-1326.