Contexte

Les lésions ano-périnéales associées à la maladie de Crohn (LAP MC) sont fréquentes au cours de l’évolution de cette maladie (environ 30%). Elles peuvent être isolées et inaugurales, révélant ainsi une maladie avec une atteinte luminale peu symptomatique ou négligée, ou bien survenir au cours d’une maladie luminale déjà connue.

Nature

On distingue :

Les lésions dites primaires, spécifiques dues à l’inflammation tissulaire : dermite, hypodermite, pseudofissures, ulcérations.

Les lésions dites secondaires : suppuration survenant sur une lésion primaire, le plus souvent ulcération ano-rectale ; sténose ano-rectale le plus souvent secondaire à la fibrose provoquée par une suppuration sous-jacente ou des ulcérations.

Les lésions spécifiques associées : maladie de Verneuil, psoriasis périanal ?,maladie pilonidale assez fréquentes au cours de la MC.

Enjeux

Le pronostic des LAP MC est sévère. Ces lésions retentissent sur la qualité de vie du patient. Elles provoquent des dégâts tissulaires pouvant aboutir à des troubles de la fonction ano-rectale (par atteinte cutanée ou muqueuse, musculaire, fibrose). Indirectement, ce sont des marqueurs de gravité de la maladie chez un patient.

Les stratégies de prise en charge de ces lésions sont aujourd’hui très différentes en cas de maladie de Crohn, ou en son absence. En effet, la chirurgie est plus économe et le traitement médical débuté d’emblée.

Le diagnostic précoce d’une MC améliore le pronostic grâce à  une prise en charge médico-chirurgicale rapide et adaptée.

Une LAP MC peut survenir chez un patient traité pour une atteinte luminale et en rémission. Le diagnostic est alors important car il amènera à discuter une optimisation du traitement, voire un changement de thérapeutique.

Quels éléments doivent faire poser la question d’une MC associée ?

  • Le terrain :

Il n’est pas question de sexe, ni d’âge (les formes tardives de la MC chez des sujets âgés sont de plus en plus fréquentes), ni d’ethnie ou d’origine géographique.

Les antécédents familiaux de maladie inflammatoire digestive chronique (MC, mais aussi RCH) peuvent être un signe d’alerte, car ils augmentent le risque d’être soi-même atteint.

Le tabagisme est un facteur de risque pour la MC, mais aussi en général pour toutes les maladies inflammatoires cutanées.

  • Les symptômes associés :

Des épisodes répétés, prolongés, anciens ou contemporains, de douleurs abdominales, amaigrissement, diarrhée, doivent alerter. Ces troubles digestifs ne sont pas toujours évoqués spontanément par le patient car ils peuvent avoir été étiquetés fonctionnels ou ne pas avoir été pris en considération lorsqu’il les a évoqués lors de consultations précédentes.

  • L’aspect des lésions :

Chez un patient sans MC connue :

C’est globalement l’aspect « anormalement » inflammatoire/oedémateux ou agressif de l’atteinte qui va alerter.

Une atteinte cutanée de voisinage, dermite ou hypodermite avec des ulcérations en puits, des marisques oedémateuses.

Figure : kyste pilonidal très inflammatoire, résistant à la prise en charge. Granulomes à l’histologie, cicatrisation sous antiTNF
Figure : dermite avec ulcérations en puits, secondaire à une MC.

Une fissure avec des berges oedématiées, un fond végétant, un caractère creusant, une localisation multiple, un siège atypique. Une ulcération qui remonte sur le bas rectum.

Figure : multiples fissures et fistules sous cutanées avec micro-orifices marginaux, plus réaction oedémateuse importante.

La présence d’ulcérations ano-rectales, ces lésions doivent  faire évoquer une maladie inflammatoire (MC le plus souvent, mais aussi Behcet…). On éliminera systématiquement une infection (sexuellement transmise le plus souvent, mais aussi parasitaire…) par des biopsies et un prélèvement à visée bactériologique.

Une fistule complexe, surtout si elle est associée à des lésions primaires (ulcérations, fissures…).

Figure : abcès avec réaction cutanée oedémateuse, anus mutifissuraire.
Figure : suppuration atypique avec ulcération et marisque plus oedème à l’origine d’une fistule antérieure, ulcération latérale gauche, seconde suppuration postérieure sous une ulcération cutanée.
Figure : suppuration avec de multiples trajets suppuratifs et délabrement anal du à des ulcérations.

Chez un patient atteint d’une MC connue :

Toute lésion anale sera suspecte d’être spécifique et liée à sa maladie, surtout si son apparition est contemporaine d’une poussée luminale. Toutefois, ne pas oublier qu’une LAP MC peut survenir de façon isolée chez un patient avec une atteinte luminale traitée et en rémission.

Chez un patient atteint de RCH, l’apparition d’une LAP fera redresser le diagnostic vers celui de MC.

Quand effectuer le bilan ?

En cas de suspicion, et en l’absence d’urgence chirurgicale, le bilan est à faire avant tout geste thérapeutique. En effet, le traitement, et notamment la chirurgie des LAP de MC est devenue totalement différent de celui des lésions non spécifiques. Pour les suppurations, le drainage reste le premier temps indispensable, mais les gestes ultérieurs seront influencés par la réponse au traitement médical. De même, la mise à plat ou fistulotomie reste exceptionnelle en cas de MC.

Le traitement médical (actuellement antiTNF en première ligne en cas de suppuration ou de lésion primaire agressive) sera mis en route le plus rapidement possible (dès le lendemain du drainage de la ou des collections, en cas de doute vérifier la qualité du drainage par une IRM).

En parallèle, le bilan pré antiTNF sera prescrit au moindre doute afin de pouvoir le débuter dès confirmation du diagnostic de MC.

Quel bilan ?

Le diagnostic de MC peut être affirmé en présence de lésions luminales macro ou microscopiques. On prévoira entéro-IRM, endoscopie digestive haute et basse avec des biopsies systématiques sur les lésions et, en leur absence, étagées en muqueuse saine.

Une IRM pelvi-périnéale sera volontiers prescrite avant chirurgie afin de faire le bilan anatomique des lésions anales secondaires, mais elle n’apportera pas d’argument en faveur d’une MC.

Lors de l’examen sous anesthésie et en cas de chirurgie des lésions anales, des prélèvements à visée histologique à la recherche de granulome seront effectués. Ces lésions histologiques très évocatrices ne sont pas toujours retrouvées, et le diagnostic de MC pourra être posé même en leur absence.

La recherche des anticorps ANCA n’a pas d’intérêt dans cette indication.

Faut-il systématiquement évoquer une MC devant toute fissure ou suppuration chez un patient sans antécédent ?

Il faut toujours y penser et rechercher des signes digestifs ou généraux évocateurs. L’aspect clinique de la lésion doit aussi être pris en compte. Si aucun élément évocateur n’est retrouvé, un bilan complémentaire n’est pas indiqué. Toutefois en cas de chirurgie, un prélèvement à visée histologique est recommandé.

Points forts

  • les LAP peuvent être inaugurales et révélatrices d’une MC
  • il n’y a plus de terrain évocateur (âge, sexe, origine géographique ou ethnique)
  • rechercher des arguments anamnestiques et cliniques
  • toujours penser à une MC devant une lésion ano-rectale, mais le bilan est inutile en l’absence d’élément anamnestique ou clinique
  • en cas de de doute prescrire immédiatement le bilan préantiTNF en parallèle
  • le bilan doit comprendre entéroIRM, endoscopies haute et basse avec biopsies étagées en l’absence de lésion macroscopique
  • faire des prélèvements à visée histologique des lésions lors d’un examen sous AG ou de la chirurgie
  • une LAP peut survenir chez un patient avec une atteinte luminale traitée et bien contrôlée

François Pigot, Dominique Bouchard
Service de proctologie médico-chirurgicale, Hôpital Bagatelle, Talence.